Les modèles d’accompagnement basés sur un accueil en milieu protégé (les établissements spécialisés et les activités encadrées par les professionnels du médico-social) traduisent une vision de la personne avec déficience intellectuelle comme un être fragile. D’après l’UNAPEI, « ses difficultés doivent être compensées par un accompagnement humain, permanent et évolutif, adapté à l’état et à la situation de la personne ». Elle décrit, par ailleurs, la déficience intellectuelle comme un état qui « ne peut pas être soigné, mais le handicap peut être compensé par un environnement aménagé et un accompagnement humain adapté ».
Le milieu protégé constitue traditionnellement cet environnement aménagé et le rôle des accompagnants consiste, entre autres, à aider la personne avec des tâches qu’elle ne peut pas réaliser seule. Ceci prend généralement la forme du guidage verbal pour des tâches dont la personne a réussi à maîtriser les gestes, mais non le processus. Certains professionnels créent des aides techniques (emploi du temps, documents pictographiques, etc.), mais ce n’est pas la règle.
L’autonomie et l’accessibilité sont devenues de véritables enjeux à la suite notamment de la Loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. La loi définit le handicap comme « toute limitation d’activité ou restriction de la participation à la vie en société ». De ce faite, la participation sociale et l’inclusion sociale qui en découle, deviennent des priorités et des objectifs à viser par les structures médico-sociales.
Le modèle social actuel du handicap souligne l’importance de l’autonomie. Contrairement au modèle médical, le handicap ne se situe pas chez la personne dans ce modèle, mais dans la relation avec son environnement. Et plus particulièrement, entre la déficience de la personne et l’incapacité que cela entraîne, d’une part, et un environnement inadapté, d’autre part. Autrement dit, si une personne handicapée ne peut pas se rendre chez son médecin faute de rampe où d’ascenseur, le handicap ne se situe pas dans ses jambes, mais dans sa relation avec un bâtiment inadapté. En effet, la personne handicapée devrait pouvoir y accéder seule.
Toutefois, une véritable participation sociale exige que la personne y soit préparée et qu’elle soit autonome. De ce fait, développer l’autonomie de la personne avec déficience intellectuelle devrait être une priorité pour des professionnels du médico-social qui doivent en outre disposer d’outils adaptés pour y arriver.
Les pictogrammes constituent des outils d’autonomie et d’accessibilité idéals pour des personnes avec déficience intellectuelle.
Il serait utile, à ce stade, de définir ces deux notions au cœur de tout travail avec des pictogrammes.
Dans l’acception courante de ce terme, l’autonomie est la capacité d’agir seul, sans avoir recours à autrui. Cette définition cache une dimension essentielle de l’autonomie qui est la liberté de choix. Sans cela il s’agit d’indépendance physique et non d’autonomie (Stiker, Puig, and Huet, 2009). Ceci rejoint l’Approche par les capabilités d’Amartya Sen où la notion de capabilité recouvre, à la fois, la capacité de la personne à réaliser une action seule et sa liberté de l’entreprendre.
L’autonomie d’une personne dépend également de l’accessibilité des biens sociaux dont elle peut avoir besoin : l’école, les transports, les bâtiments publics, etc. Il s’agit de dispositifs mis en œuvre afin que ces biens sociaux soient à la disposition du plus grand nombre. La Délégation interministérielle aux personnes handicapées, en liaison avec 14 ministères, a défini l’accessibilité ainsi : « L’accessibilité permet l’autonomie et la participation des personnes ayant un handicap, en réduisant, voire supprimant, les discordances entre les capacités, les besoins et les souhaits d’une part, et les différentes composantes physiques, organisationnelles et culturelles de leur environnement d’autre part. » (DIPH, 2006)
L’accessibilité est devenue un enjeu important. L’émergence des notions comme la participation sociale, la citoyenneté et l’inclusion sociale dans le milieu médico-social reflète un glissement progressif de responsabilités, de la collectivité vers la personne handicapée elle-même. La responsabilité de la protection de la personne handicapée ne sera plus le ressort de la collectivité à terme, mais celle de la personne handicapée elle-même et/ou son entourage personnel, qui doivent se servir, pour cela, des ressources et des services mis à leur disposition. A titre d’exemple, la recommandation du Comité des Ministres qui préconise la désinstitutionalisation précise qu’il incombe au premier chef aux parents d’élever leur enfant et d’assurer son épanouissement ; le choix de la manière dont ils satisfont les besoins de l’enfant leur revient. L’Etat devrait, par conséquent, financer et mettre à leur disposition toute une gamme de services d’excellente qualité parmi lesquels les familles d’enfants handicapés pourront choisir diverses aides adaptées à leurs besoins (Comité des ministres, 2010). Nous passons donc d’une logique de services en institutions à celle de services de proximité.
Nous rencontrons des pictogrammes partout dans nos vies quotidiennes : dans nos déplacements, dans nos achats, sur nos vêtements, sur les boîtes de médicaments, etc.
Les pictogrammes servent à remplacer des messages écrits par des images, lorsque ces messages doivent être décryptées rapidement (code de la route) ;
à communiquer des avertissements, des interdictions et des consignes de sécurité (produits dangereux, médicaments) : à communiquer avec des personnes qui ne parlent, ni lisent la langue (étrangers, personnes en situation d’illettrisme) ; ou à simplifier la lecture (instructions d’assemblage) (citation). Ils sont censés communiquer des informations de manière concise, rapide et en étant affranchi d’une langue quelconque, quasi intuitivement, sans que l’on ait besoin d’explication.
Le pictogramme est défini comme signe graphique, iconique et conventionnel ayant une fonction communicative sans pour autant transcrire la langue (Bordon, 2004). Il s’agit d’un dessin figurative stylisé utilisé pour communiquer de l’information de nature analogique où figurative directement pour indiquer un objet ou pour exprimer une idée (Tijus et al., 2007).
Pour faire simple, il s’agit d’un dessin simplifié, conçu pour communiquer une information spécifique.
Ces pictogrammes fonctionnent pour autant que l’on appartienne à l’environnement culturel où ils sont utilisés. Nous ne sommes pas toujours conscients de la phase d’apprentissage que requiert la compréhension de ces pictogrammes. Toutefois, toute personne qui a préparé l’examen du code de la route pour obtenir son permis de conduire sait que la compréhension des pictogrammes ne va pas de soi.
Les pictogrammes qui nous intéressent, à destination des personnes avec déficience intellectuelle, sont d’une autre nature. Il ne s’agit pas, dans notre cas, de pictogrammes autonomes et individuels.
En effet, lorsque nous avons 3 pictogrammes côte-à-côte dans l’espace public, comme à la gare, il s’agit de 3 messages distincts :
Ce genre de pictogrammes convient à des messages simples. Toutefois, lorsque l’on souhaite communiquer des messages plus complexes, nous atteignons rapidement les limites des pictogrammes individuels. Il faut alors les associer pour construire des consignes. A titre d’exemple :
Dans notre cas les 4 pictogrammes ne représentent pas 4 messages distincts, mais sont associés pour communiquer un seul message plus complexe. Ce sont en quelque sorte des mots d’un langage imagé.
Pour que l’usage des pictogrammes soit efficace et utile, il faut un outil pictographique étendu et cohérent ; une ressource pictographique (document, panneau, application, …) adaptée à la situation et à la personne ; des messages faciles à comprendre ; et des phases d’apprentissage. A ces conditions, les pictogrammes ont le potentiel de transformer la vie d’une personne avec déficience intellectuelle.
En partant de ce principe, et avec un système pictographique suffisamment riche, nous pourrions élargir les champs d’application des pictogrammes à toutes les dimensions de la vie de la personne (tâches quotidiennes, apprentissage, insertion professionnelle, mobilité, etc.), et faciliter ainsi son inclusion sociale.
L’organisation séquentielle de certaines activités professionnelles ou quotidiennes peut être un obstacle pour des personnes qui ont des difficultés de mémorisation ou d’organisation temporelle (Courbois et Paour, 2007). Toutefois, les apprentissages sont toujours possibles même s’ils seront longs à se mettre en place et qu’il faudra trouver les moyens nécessaires pour y parvenir. Il existe trois possibilités principales pour les professionnels et parents de soutenir les apprentissages des personnes déficientes :
Les pictogrammes apportent des réponses à ces trois modalités d’intervention. En effet, les consignes imagées servent à la fois d’incitations à commencer le comportement, de rappel de l’ordre des tâches à effectuer et de moyen d’autocontrôle quant à l’exactitude de la réalisation (rôles habituellement tenus par l’intervenant). (Montreuil et al.,1991)
L’aide technique utilisée doit toutefois être adaptée à la situation de la personne.
À titre d’exemple, les troubles de la mémoire verbale dans la Trisomie 21 et le syndrome de l’X-Fragile sont des obstacles à la mémorisation d’informations communiquées verbalement et, par conséquent, au suivi des consignes pour la réalisation de tâches. Chaque information donnée verbalement devrait donc être accompagnée de sa représentation imagée (par exemple, des pictogrammes). La double modalité (visuelle et verbale) permet d’améliorer la trace mnésique et permet ainsi de récupérer plus facilement cette information (Bussy, 2014).
Les personnes porteuses du syndrome de l’X-Fragile manifestent dans de nombreux cas des angoisses principalement liées à la nouveauté ou au changement. Utiliser un planning représentant l’emploi du temps permet également de se repérer dans le temps et de diminuer l’anxiété liée aux changements (Bussy & Kientz, 2012).
Mais cet aménagement peut s’avérer négatif pour les enfants porteurs du syndrome de Williams-Beuren en raison des troubles visuo-spatiaux (Thibaut & Fayasse, 2009). Un emploi du temps représenté sous la forme d’un tableau à double entrée s’avère difficile à lire et donc à comprendre pour ces enfants. Il est donc préférable d’utiliser la verbalisation avec les enfants porteurs du syndrome de Williams-Beuren.
Le processus même de création d’une ressource pictographique, tel un document, contribue à l’adapter aux besoins de la personne avec déficience intellectuelle. L’objectif consiste à créer un support qui permet à la personne de réaliser la tâche seule sans l’aide ni présence d’un aidant.
On commence par formaliser la tâche en s’assurant que toutes les étapes y figurent ; en optimisant son déroulement et en décrivant les étapes en texte simplifié, on réduit sa complexité cognitive et en améliore la compréhension ; le texte simplifié sert à traduire la consigne en pictogrammes, l’emploi de texte simplifié facilitant la traduction.
Le document qui en découle est en général mieux adapté aux besoins de la personne que le guidage verbal où l’on ne rentre pas dans ce niveau de détail dans la mesure où on est sur place et en mesure d’intervenir à tout moment pour corriger le tir.
L’usage des pictogrammes doit toutefois être situé dans le contexte plus large de l’accompagnement. En effet, les pictogrammes ne sont que des outils à la disposition des professionnels et des aidants et ne les remplacent pas. Ce ne sont pas les outils qui dictent le type d’utilisation que l’on va en faire, mais bien les modalités d’accompagnement. À titre d’exemple, pour une situation donnée, un éducateur en milieu protégé fera, a priori, une utilisation différente des pictogrammes que son homologue engagé dans une démarche d’inclusion sociale. Les ressources pictogrammes doivent donc être conçues par rapport à un modèle d’accompagnement.
Les pictogrammes, grâce à leurs effets capacitants (physiques, psychiques, cognitifs ou sociaux), permettent à la personne avec déficience intellectuelle de réaliser seule une tâche.
Toutefois, le support pictographique est généralement conçu par un professionnel et conditionné par son approche spécifique. Par ailleurs, cette activité se déroule dans le cadre d’un établissement, avec ses propres spécificités. Il faut donc tenir compte des facteurs « sociaux », dont les relations avec les professionnels, et des facteurs « environnementaux » qui incluent la politique de l’établissement.
Une telle approche nous amène à situer l’usage des pictogrammes dans un contexte plus large et à nous interroger, au-delà de l’effet capacitant des pictogrammes, sur les modalités d’accompagnement ; la perception de la personne par le professionnel ; la relation « personne avec déficience intellectuelle/ professionnel » ; le rôle imparti aux pictogrammes ; leur place et leur utilisation dans le processus d’accompagnement et dans l’établissement, etc.
Nous passons donc de l’effet capacitant de l’outil à celle de l’environnement capacitant. Trois aspects caractérisent un environnement capacitant:
préventif – il ne nuit pas à l’individu et préserve ses capacités futures d’agir ;
universel – il prend en compte les différences entre individus (physique, sexe, âge, culture), compense les déficiences individuelles (vieillissement, maladie, incapacités) et agit contre l’exclusion et le chômage ;
développemental : il permet l’acquisition de nouvelles compétences et de nouveaux savoirs, l’élargissement des possibilités d’action et d’autonomie et favorise l’apprentissage. (Falzon 2005)