pour que la déficience intellectuelle ne soit pas un handicap

Le projet personnalisé

Le projet personnalisé est un élément essentiel dans l’accompagnement de la personne handicapée. Il est au cœur des pratiques du médico-social car il définit le type d’accompagnement et les prestations qui seront proposées à la personne handicapée.

Selon les missions de l’établissement/service, le projet qui concerne la personne a différentes appellations : projet éducatif, projet d’insertion, projet personnalisé d’accompagnement, projet individualisé de prise en charge et d’accompagnement… Sur le terrain, ce sont encore d’autres appellations qui peuvent être utilisées : projet individuel, projet individualisé, projet personnalisé d’accompagnement… Le terme de projet d’accueil et d’accompagnement, introduit par la loi du 2 janvier 2002, présente l’intérêt d’être commun à l’ensemble du secteur social et médico-social. Toutefois cette appellation est peu utilisée sur le terrain.

ANESM a retenu le terme de « projet personnalisé » pour qualifier la démarche de co-construction du projet entre la personne accueillie/ accompagnée (et son représentant légal) et les équipes professionnelles (ANESM, 2008).

Rôles des personnes accompagnées et des professionnels

La loi du 2 janvier 2002 prévoit une prise en charge et un accompagnement individualisé de qualité, adaptés à l’âge et aux besoins de la personne handicapée. Ils doivent favoriser son développement, son autonomie et son insertion. Ils doivent notamment être définis en accord avec la personne accompagnée, en recherchant systématiquement son consentement éclairé. En effet, la participation de la personne handicapée à la conception et à la mise en œuvre de son projet d’accueil et d’accompagnement est un droit au titre de la loi. Cette participation peut se faire directement ou avec l’aide de son représentant légal.

Ces évolutions appellent les professionnels du secteur social et médico-social à porter un regard nouveau sur les rapports qu’ils entretiennent avec les usagers et leur entourage. Le rapport dominant-dominé souvent à l’œuvre en institution, plus par habitude et facilité que par volonté réelle de puissance, doit laisser place à une posture d’alliance. Elle permet le partage, un croisement des savoirs et des pratiques ainsi que l’échange des soucis et des souhaits réciproques. Sans supprimer les statuts, elle permet une reconnaissance à chacun (Ladsous, 2006).

Le projet personnalisé devient alors une démarche dynamique, une co-construction qui tente de trouver un équilibre entre différentes sources de tension. En effet, les personnes accompagnées, leur entourage et les différents professionnels de l’établissement pourraient avoir des points de vue divergents au niveau des attentes, des analyses et des objectifs. Par conséquent, cette démarche de co-construction aboutit souvent à un compromis (ANESM , 2008).

Il ne faut toutefois pas perdre de vue que le bénéficiaire direct des accompagnements et des prestations est bien la personne accompagnée. Le travail des professionnels consiste donc à créer un cadre facilitant l’expression de ses attentes qui peuvent correspondre à des souhaits, désirs, envies, ou éléments de projets. Ils peuvent être latents, simplement ressentis, explicites ou implicites, mais ils existent toujours. Lorsque les capacités d’expression et/ou d’élaboration intellectuelle des personnes sont limitées, des formes de communication diversifiées devraient être recherchées. Il pourrait s’agir de la communication gestuelle, sensorielle ou visuelle (pictogrammes, photos, langage simplifié…) (ANESM, 2008).

Le projet personnalisé - forme

La loi n°2002-2 fait obligation aux professionnels d’établir un projet d’accueil et d’accompagnement, mais elle n’en détaille pas le contenu ni ne précise s’il doit être écrit (ANESM, 2008).

Le MAP (Modèle d’Accompagnement Personnalisé) propose un modèle pour adapter et évaluer les accompagnements destinés aux personnes handicapées mentales. Airmès, pour sa part, est présenté comme un logiciel d’aide à l’accompagnement et à l’évaluation de la personne en situation de handicap. Ces deux outils sont compatibles avec la classification de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et s’appuient donc sur une représentation similaire de la participation.

Autrement dit, la participation est vue comme le fait de « prendre part à une situation de la vie réelle ». Engager une conversation, utiliser les transports en commun ou faire des courses en sont quelques exemples. Cette approche par les tâches et les compétences semble correspondre à ce qui se fait généralement.

Une telle approche, par tâches et compétences, est mieux adaptée à l’observation et à l’évaluation de la personne qu’au recueil de ses attentes. Elles sont, par ailleurs, difficiles à recueillir dans la mesure où l’on ne représente pas son avenir sous cette forme et où, par conséquent, on n’exprime pas ses attentes de cette manière.

Cette approche morcelée ne permet donc pas d’avoir une vision globale et cohérente des désirs de la personne pour son avenir. En effet, la participation présentée sous cette forme correspond à des moyens et non à des fins. Savoir utiliser les transports en commun n’est pas une fin en soi. On les prend pour se rendre quelque part, pour faire quelque chose.

Ce qui manque c’est un fil conducteur pour relier les attentes et les aspirations de la personne dans les dimensions différentes de sa vie.

Voici un extrait de projet personnalisé issu du logiciel Airmès :

Objectif général Objectif opérationnel Moyens/activités mis en place Moyen d’évaluation
Maintenir et développer un mode de communication fonctionnelle et adaptée
Améliorer sa communication expressive
• Suivi orthophoniste • Accompagnement éducatif pour réguler son langage
Accéder à un moyen d’exprimer ses ressentis
Extérioriser son passé
• Entretien psychologique régulier
Maintenir et développer de l’autonomie dans l’entretien de son linge
• Se rendre seul (e) à la buanderie avec la clé
Linge propre
Maintenir et développer de l’autonomie pour la toilette
Affiner son image de soi
• Participation à l’atelier esthétique
Développer de l’autonomie dans la gestion de sa santé
L’aider dans la gestion de son poids
• Participation aux ateliers éducatifs « équilibre alimentaire » Surveillance de ses excès alimentaires
Courbe de poids
Développer de l’autonomie dans la gestion de sa santé
Soutenir une activité physique
• Participation à l’activité piscine ASAB • Participation à l’activité voile participation à l’activité « bouger bouger »
Développer de l’autonomie dans la gestion de sa santé
Maintenir son autonomie dans la prise de sa pilule contraceptive
• Prend sa pilule seule tous les soirs dans sa chambre (hors pilulier)
Plaquette pilule vide
Faciliter les relations que la personne accueillie souhaite avoir avec ses proches
Maintenir les weekends chez son frère
• Visite et échange régulier

Un autre exemple de projet personnalisé (Mallet, 2016) :

mon project

Accompagnement et identité

Nous avons défini l’accompagnement comme le fait « d’aider la personne avec déficience intellectuelle à identifier et à développer les identités sociales dont elle a besoin pour mener la vie de son choix ». Mais comment identifie-t-on ces identités sociales ? La notion d’identité narrative nous offre une piste. En effet, nous exprimons nos identités par nos comportements et nos actes, mais surtout par les histoires que l’on raconte et se raconte.

Dans un ordre d’idée similaire, Berger et Luckmann (1991) affirme que la conversation est le véhicule principal pour entretenir, modifier et reconstruire nos réalités subjectives, ou nos perceptions personnelles du monde. De manière générale, la conversation entretient la réalité subjective en « passant en revue » différents éléments d’expérience et en leurs attribuant une place précise dans le monde réel.

L’identité narrative

L’identité narrative, selon Paul Ricoeur (1988), « est la sorte d’identité à laquelle un être humain accède grâce à la médiation de la fonction narrative, c’est la mise en récit de manière concordante des événements de son existence afin de lui donner un sens. En reliant les différents évènements vécus dans un récit cohérent, la fonction narrative sert à leur donner un sens (Meininger, 2010). Le récit construit le caractère durable d’un personnage, qu’on peut appeler son identité narrative (Ricoeur, 1988). L’identité narrative est, en effet, une construction, en situation, par un sujet, d’un agencement de ses expériences signifiantes (Dubar, 2010).

Autrement dit, nous sommes les histoires que nous nous racontons et que nous racontons aux autres.

Raconter la vie de son choix

A travers l’identité narrative la personne dévoile sa vision du monde, les récits n’étant jamais neutres. Elle communique à elle-même et aux autres qui elle est, comment elle y est arrivée et où elle pense que sa vie la mènera dans l’avenir (McAdams and McLean, 2013). On peut s’appuyer sur ce lien entre passé et futur pour relier le projet personnalisé à notre définition de l’accompagnement. On servira, pour cela, d’une identité narrative « anticipée »,

La personne sera invitée à se projeter dans un avenir plus ou moins proche et à nous raconter la vie qu’elle souhaiterait y mener. En racontant son histoire, elle jette un pont entre mémoire et espérance, entre son passé et un avenir inconnu. On inverse ainsi le processus d’identité narrative et s’en sert pour recueillir les attentes de la personne.

Ce récit constituera la base de son projet de vie et servira de fil conducteur aux objectifs à viser. Les situations et les évènements significatifs qui en sont extraits, en accord avec la personne, permettront d’identifier ces objectifs. Ces situations recèleront des identités sociales qu’il faudra identifier. Les plus significatives d’entre elles seront celles nécessaires à la personne pour vivre la vie de son choix.

Le projet personnalisé - objectifs

Développer les identités sociales exprimées dans cette identité narrative « anticipée » devrait donc constituer l’essentiel du projet personnalisé. Ces identités sociales pourraient ensuite être déclinées en savoirs, savoir-faire et savoir-être dont la personne aura besoin pour les incarner et pour accéder à cette vie qu’elle désire mener.

C’est alors que la liste d’activités et de participations de l’OMS et celle des habitudes de vie du Modèle de développement humain – Processus de production du handicap (MDH-PPH) deviennent intéressant. Elles répertorient, en effet, des compétences qui recouvrent les différentes dimensions de la vie et pourront servir de checklists pour identifier les compétences à développer pour chacune des identités sociales à développer.

L’Approche par les capabilités

On peut faire le rapprochement ici avec l’Approche par les capabilités d’Amartya Sen (Ch. 2.5 « La justice ou des libertés de faire et d’être »)

L’identité narrative anticipée correspond au genre de vie que l’on a des raisons de valoriser. Pouvoir mener cette vie est un facteur important du bien-être de la personne, dont la recherche est une valeur capitale dans le contexte de l’approche par les capabilités.

Les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être contribuent à développer les capabilités nécessaires aux fonctionnements qui constituent cette vie.

La prise en compte des facteurs de conversion (personnels, sociaux et environnementaux) propres à la personne nous fait aboutir à des solutions personnalisées pour le développement de ces capabilités.

Conclusion

Il se peut que l’exercice de l’identité narrative « anticipée » soit difficile dans un premier temps. La projection se fera sans doute dans un avenir relativement proche, la personne n’en ayant peut-être pas l’habitude. Ces récits seront forcément simples dans un premier temps, la personne comme les professionnels n’en ayant pas l’expérience. On peut supposer toutefois qu’avec le temps ils seront plus élaborés. On peut, en effet, aider la personne à se projeter progressivement plus loin dans l’avenir et à apporter plus de détails à son récit.

Il s’agit, bien entendu, d’un processus itératif, à renouveler régulièrement, au moins à l’établissement de chaque nouveau projet personnalisé. En effet, les attentes de la personne peuvent évoluer dans le temps à la suite de son vécu et de sa propre évolution.

Il est également important de démarrer ce processus au plus tôt. Une étude menée sur la représentation de l’avenir chez les jeunes de collège a démontré qu’entre la sixième et la troisième, le nombre de métiers cités pour compléter la phrase « le métier que je vais faire plus tard c’est… » a été multiplié par trois, alors que dans les sections d’éducation spécialisées (SES), le nombre de métiers a fortement diminué pour se concentrer sur des métiers manuels. Les jeunes ont effectivement internalisé les idées que se faisaient leurs entourages au sujet de leurs capacités.

Enfin, il faut laisser les personnes accompagnées trouver leurs propres limites et ne pas leur imposer nos perceptions de leurs capacités qui peuvent être fausses et le sont plus souvent que l’on ne pense. Car un objectif visé par la personne qui nous paraît inatteignable comportera forcément des étapes. Soit la personne arrive à franchir toutes les étapes et arrive à son objectif, ce qui est merveilleux. Soit la personne atteint ses limites en cours de chemin. Dans ce cas elle peut réorienter ses choix ou elle aura peut-être trouvé un autre objectif entre temps. Quoi qu’il en soit, elle aura fait plus de progrès que si l’on s’était opposé à son choix.