L’accompagnement, bien qu’au cœur de l’action sociale, reste une notion difficile à définir. Maela Paul (2009) le décrit comme terme irritant, car véritable fourre-tout. Pour Henri-Jacques Stiker, « s’il est une notion floue […] c’est bien celle de l’accompagnement. Floue parce que ses contours, son “périmètre”, ses définitions sont vagues » (Stiker, Puig et Huet, 2009). Et cela pour des raisons multiples.
Les termes pour désigner l’action qui vise à soutenir une personne ou un groupe de personnes ont changé au cours des années. Ainsi est-on passé de l’assistance (au XIXe siècle) ; à l’aide et la protection (entre 1904 et 1930) ; au suivi (entre 1930 et 1945) ; à la prise en charge (entre 1946 et 1970) ; puis à l’approche globale et à la notion d’intervention (entre 1970 et 1985) ; et finalement, à l’accompagnement à partir de 1985 (Paul, 2009).
Ensuite, on peut accompagner une personne de différentes manières : dans les actes de la vie quotidienne ; dans l’accomplissement de démarches administratives ; dans la mise en place d’activités, d’animations destinées par exemple au maintien des acquis ; faire évoluer une fonction émergente, etc. (Huet, 2008).
Et enfin, l’accompagnement doit être adapté à chaque personne et à chaque situation et, de ce fait, recouvre un ensemble de pratiques très variées : coaching, conseil, tutorat, mentoring, compagnonnage, sponsoring et médiation (Paul, 2002).
La législation n’éclaircit pas vraiment la situation non plus. Le mot d’accompagnement fait son apparition dans la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Cependant, c’est le mot d’aide qui reste prépondérant : aides humaines, aides techniques, aide à la vie scolaire (Stiker, Puig et Huet, 2009).
La question de savoir ce qui guide les professionnels du médico-social reste donc entière, surtout lorsque ce qui est au cœur de leur travail n’est pas clairement défini.
À défaut de définition, on met en avant des bonnes pratiques : un compagnonnage à la fois discret et proche, sensible sans intrusion, teinté d’amitié, mais loin d’une intimité qui empêcherait l’éloignement et le changement, attentif aux désirs et à l’évolution des personnes, soucieux de leur autonomie tout en garantissant leur sécurité (Stiker, 2012). Il s’agit là du « comment » et non du « quoi » et encore moins du « pourquoi ».
D’après l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM), les recommandations de bonnes pratiques professionnelles explicitent les valeurs, donnent du sens et désignent des repères communs pour aider les professionnels à rechercher l’intervention la mieux appropriée (ANESM, 2016).
Les bonnes pratiques seules ne suffisent pas à penser l’action de manière cohérente. Elles ne fournissent en effet ni caps ni objectifs. Par conséquent, on pourrait imaginer une situation où tout est fait en respectant de bonnes pratiques, pour un résultat finalement insignifiant, en raison d’objectifs multiples sans cohérence interne ou d’absence de cap.
Par ailleurs, ces meilleures pratiques ont évolué principalement dans des environnements protégés. Elles ne sont donc pas adaptées à l’inclusion sociale. Attendre que de bonnes pratiques adaptées à l’inclusion sociale se développent et se généralisent demandera trop de temps.
Il manque un cadre théorique pour élaborer des modalités d’accompagnement autour de la participation sociale et de l’inclusion sociale.
Y a-t-il malgré tout un fil conducteur qui relie tout ce qu’englobe le terme d’accompagnement ? Maela Paul (2012) propose une définition minimale. Accompagner, c’est « être avec » et « aller vers ». Mais pour aller où ?
L’émergence des notions comme la participation sociale, la citoyenneté et l’inclusion sociale dans le milieu médico-social reflètent un glissement progressif de responsabilités, de la collectivité vers la personne handicapée elle-même.
Le Comité des ministres de l’Union européenne va encore plus loin dans ses recommandations en préconisant la désinstitutionnalisation. Il y précise que « les parents ont la responsabilité première de l’éducation et du développement de l’enfant ; ils devraient choisir comment répondre aux besoins de leur enfant ». Le rôle de l’État consisterait donc de « financer et mettre à disposition une gamme de services de haute qualité parmi lesquels les familles d’enfants handicapés peuvent choisir » (Comité des Ministres, 2010).
Toutefois, cette évolution vers la participation sociale et le transfert des responsabilités vers la personne handicapée ne serait-elle pas la conséquence naturelle de considérer la personne handicapée comme citoyen à part entière, avec les mêmes droits et libertés que tout un chacun, et traitée comme tel ? Il s’agirait alors de mettre à sa disposition des ressources et des services qui lui permettent de vivre de manière aussi autonome que possible et de participer à la vie sociale comme tout autre citoyen.
La transition vers l’inclusion sociale peut être anxiogène pour la personne handicapée intellectuelle. Elle représente, en effet, un changement radical de son mode de vie et implique de quitter la sécurité d’un environnement protégé pour l’incertitude de la société.
Cette transition peut être anxiogène pour des professionnels du médico-social également. Ils doivent repenser leur rôle et développer de nouvelles pratiques professionnelles, tout en gérant l’incertitude de la situation et les menaces réelles et perçues sur leur emploi. Ils n’ont malheureusement ni modèle ni expérience pour s’adapter et faire face aux nouvelles exigences de leur travail.
Cette situation est en grande partie due à l’absence d’une définition claire et pratique de l’accompagnement. Sans une telle définition, les emplois des professionnels sont définis par ce qu’ils font et non par ce pour quoi ils le font. Et les bonnes pratiques ne fournissent pas le pourquoi. Par conséquent, lorsque le contexte évolue et les pratiques professionnelles ne sont plus appropriées, c’est comme si le travail lui-même est remis en question, ce qui est extrêmement déstabilisant et est perçu comme une menace existentielle.
Disposer d’un cadre conceptuel qui puisse guider les actions des professionnels sur le terrain offrirait une vue d’ensemble ; fournirait des objectifs, globaux et intermédiaires ; et distinguerait objectifs et pratiques. Par conséquent, ce ne seront plus les pratiques qui définiront le métier.
Ils pourraient devenir alors des agents de changement et aider les personnes handicapées à vivre la vie de leur choix. Ils donneront ainsi une voix à ceux qui en sont traditionnellement privés et qui, à leur tour, pourront étendre cette voix à d’autres dimensions de leur vie.
La participation sociale fournit un bon point de départ pour aborder la question de l’accompagnement à la lumière des évolutions en cours dans les politiques publiques.
Se donner la participation sociale et l’inclusion sociale comme objectifs représente une évolution majeure des politiques publiques. D’ailleurs, la loi de 2005, citée ci-dessus, définit le handicap comme restriction de la participation. Par conséquent, le rôle de l’accompagnement serait de développer la participation sociale des personnes avec déficience intellectuelle.
Par ailleurs, aller vers l’inclusion sociale suppose que la personne ait la possibilité de ne plus être accueillie en milieu protégé, mais de vivre en société avec les mêmes droits que tout un chacun.
Nous avons défini auparavant la participation sociale comme l’expression de nos identités sociales. Relier la participation sociale aux identités sociales nous offre une nouvelle manière d’aborder l’accompagnement. En effet, passer du milieu protégé au milieu ordinaire, c’est passer, en quelque sorte, d’identités attribuées à des identités acquises. La personne handicapée doit donc se construire de nouvelles identités en puisant dans des catégories socialement disponibles en société.
Par ailleurs, la loi prévoit la participation de la personne accompagnée à la conception et à la mise en œuvre du projet d’accueil et d’accompagnement qui la concerne. Elle peut y participer seule ou avec l’aide de son représentant légal, (Loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale).
Ainsi, nous avons, d’une part, la participation sociale vue comme l’expression de ses identités sociales, le rôle d’accompagnement étant de la développer et, d’autre part, l’obligation de la prise en compte des attentes des personnes avec déficience intellectuelle dans l’élaboration de leurs projets personnalisés.
Je propose donc de considérer l’accompagnement comme le fait « d’aider la personne avec déficience intellectuelle à identifier et à développer les identités sociales dont elle a besoin pour mener la vie de son choix ».
En conclusion, cette approche tente d’apporter une contribution globale, cohérente et pratique à la réflexion sur l’inclusion sociale, un concept plutôt anglo-saxon et scandinave, pour lequel nous manquons de repères.
Cette approche ne relève pas d’une ambition démesurée. Il est à noter que 80 % des déficiences intellectuelles se situent dans la zone des retards légers. Les personnes qui en sont atteintes font preuve d’une autonomie relative dans différents domaines de la vie quotidienne. Leur accessibilité à la vie sociale peut être augmentée en proposant des aménagements qui réduisent la complexité cognitive de l’environnement lorsqu’elle est inutile et fournissent des aides pour l’affronter lorsqu’elle est inévitable.
Toutefois, pour mettre en œuvre l’accompagnement d’après cette approche, il est nécessaire de le relier également au projet personnalisé. C’est un élément essentiel dans l’accompagnement de la personne handicapée, car il détermine le type d’accompagnement et de prestations qui seront proposées à la personne handicapée.
Réussir à mettre en œuvre son projet contribuerait à faire de la personne avec déficience intellectuelle un citoyen à part entière.